30 conseils venus du cœur
Par Gyalwa Longchenpa, grand maître du Dzogchen
L’un des plus grands maîtres du Dzogchen, Kunkhyien Longchen Ramjampa (Longchenpa) (1308-1364) laissa de nombreux textes philosophiques souvent écrits sous forme de poèmes. C’est ainsi qu’aujourd’hui, par la grâce de la transmission, la vision éclairée d’un esprit rempli de sagesse vient nous rejoindre et soutenir notre quête.
1. Au sein du ciel omniprésent de sa Gnose, l'Espace Absolu, dardant les chauds rayons de sa compassion sur
les nuages amoncelés de ses prières, une pluie continuelle d'Amrita tombe en abondance sur le champ des êtres
à convertir, mûrissant les pousses des trois Corps. Nous nous prosternons aux pieds du Maître Protecteur, le
Suprême des trois Joyaux. Par le pouvoir de mes aspirations, je pus rejoindre la suprême lignée de
l'accomplissement, mais ayant manqué de diligence, cette existence vécue en vain arrive maintenant à son
crépuscule. Mon intention était d'agir comme les Rishis, mais je me trouve maintenant totalement abattu, et j'en ai
vu quelques autres pareils à moi. C'est pourquoi, afin d'éveiller en mon esprit une sûre renonciation, j'ai
exprimé ces trente conseils venus du cœur. Hélas ! Ayant assemblé autour de soi, par toutes sortes de
moyens habiles, un large cercle de gens, on détient un domaine monastique florissant. Mais c'est là la source de
querelles et la cause de grands attachements pour soi-même.
Rester seul est mon conseil du cœur.
2. À l'occasion de cérémonies de village destinées à écarter les obstacles
et soumettre les mauvaises influences, on peut ainsi faire étalage de ses qualités devant la foule. Mais à cause
de la convoitise pour la nourriture et les richesses, notre propre esprit sera emporté par le démon.
Soumettre son propre esprit est mon conseil du cœur.
3. Ayant collecté d'importants tributs auprès de pauvres gens, on peut ainsi ériger des statues
et des monuments de grande taille, distribuer de larges aumônes, etc. Mais c'est faire accumuler aux autres des
péchés sur des bases vertueuses.
Rendre son esprit vertueux est mon conseil du cœur.
4. Désirant sa propre grandeur, on expose le Dharma aux autres, et par un grand déploiement de
tricheries, on retient un cercle de grandes et petites gens. Mais un tel esprit attaché aux réalités
grossières est cause d'orgueil.
N'avoir que des plans à court terme est mon conseil du cœur.
5. Vendre, prêter avec intérêt, et tout ce genre de tromperies ; avec les richesses
amassées de cette mauvaise façon, on peut bien faire de vastes offrandes. Mais vertu qui repose sur la soif du gain est
source des huit dharmas mondains (1. Vouloir le bien-être 2. Refuser les désagréments. 3. Satisfaire
l’ego à l’écoute de choses agréables. 4. Fuir les propos et les sons déplaisants.
5. Acquérir des richesses. 6. Ne pas connaître le manque ou la perte. 7. Obtenir des louanges. 8. Redouter les
critiques et la calomnie.).
Méditer sur le rejet de la convoitise est mon conseil du cœur.
6. Témoignant, se portant garant, se mêlant d'affaires de justice, l'on peut ainsi concilier les
différends d'autrui, pensant agir pour le bien de tous. Mais s'adonner à ce genre d'activités fait surgir des
vues intéressées.
Demeurer sans espérances ni appréhensions est mon conseil du cœur.
7. Administrant de vastes territoires, possédant richesses, prospérité, intendants, etc.
Notre renommée peut bien s'étendre à la terre entière. Mais au temps de la mort, ces choses n'ont pas
la moindre utilité.
Etre diligent dans sa pratique spirituelle est mon conseil du cœur.
8. Économes, intendants, responsables, cuisiniers, etc. Ce sont là les poutres maîtresses de
la communauté monastique. Mais un esprit intéressé à toutes ces choses est cause de soucis.
Minimiser tout ce remue-ménage est mon conseil du cœur.
9. Emportant avec soi objets religieux, offrandes, livres, ustensiles de cuisine, etc. on peut ainsi aller dans les
solitudes des montagnes muni de tout le nécessaire. Mais être bien équipé maintenant est source de
difficultés et de querelles.
N'avoir besoin de rien est mon conseil du cœur.
10. En ces temps décadents, on fait des reproches aux gens peu dégrossis qui se trouvent autour de
nous. Mais bien que nous pensions que cela leur sera profitable, c'est là source de pensées empoisonnées.
Dire des mots pacifiques est mon conseil du cœur.
11. Sans aucun motif égoïste, on dit avec affection leurs défauts aux gens, ne pensant
qu'à leur propre bien. Mais bien que ce que l'on dise soit vrai, cela va ulcérer le cœur.
Ne prononcer que des paroles gentilles est mon conseil du cœur.
12. Défendant son point de vue et contredisant celui de l’autre, on s’engage dans des
controverses, pensant préserver la pureté des enseignements. Mais c’est aussi faire naître des
pensées impures.
Rester silencieux est mon conseil du cœur.
13. Soutenant de façon partisane sa lignée de maîtres et ses vues philosophiques, on pense
que c'est là leur rendre service. Mais faire son propre éloge tout en dénigrant autrui est source d'attachements
et de haines.
Laisser là toutes ces choses est mon conseil du cœur.
14. Ayant examiné à fond le Dharma que l'on a entendu, on peut penser que comprendre les erreurs des
autres est faire preuve de connaissance discriminative. Mais c'est comme cela que l'on accumule ses propres péchés.
Voir toutes choses comme pures est mon conseil du cœur.
15. Ne parlant que le langage du vide et dédaignant cause et effet, l'on peut en venir à penser que
la non-action est le point ultime du Dharma. Mais délaisser les deux accumulations (de mérite et de sagesse) flétrira la prospérité de sa pratique.
Unir les complémentaires est mon conseil du cœur.
16. Concernant la troisième initiation, il y a descente de l'essence et autres choses similaires. On peut
penser que la voie du corps de l'autre conduira des progrès marquants, mais sur ce chemin de l'impur bien des grands
méditants se sont égarés.
S'en tenir à la voie de la libération est mon conseil du cœur.
17. Conférer des initiations à des êtres non qualifiés et distribuer aux faibles des
substances sacramentelles, c’est là la source de vilipendage et de rupture de Samaya.
Préférer une conduite droite est mon conseil du cœur.
18. Aller nu en public et autres excentricités, on peut penser que c'est agir en yogi, mais c'est ainsi que
l'on fait perdre la foi aux gens du monde.
Etre attentif en toutes choses est mon conseil du cœur.
19. Où que l'on soit, poussé par le désir d'être plus grand, on agit de façon
traditionnelle et pleine d'art. Mais c'est là cause de tomber du plus haut au plus bas.
Demeurer sans tensions ni relâchements est mon conseil du cœur.
20. Que l’on séjourne dans les villages, les monastères ou les retraites de montagne ne cherchant
pas à se faire des intimes, on doit être l’ami de tous, sans intimité ni animosité.
Conserver son indépendance est mon conseil du cœur.
21. Assumant une contenance artificielle, on rend hommage de belle façon aux donateurs qui subviennent
à nos besoins. Mais feindre en raison d'autrui est cause de se lier à soi-même.
Agir suivant le goût uniforme est mon conseil du cœur.
22. Il existe d'innombrables écrits traitant de divination, d'astrologie, de médecine, etc. Bien
que tous aient pour sujet les méthodes fondées sur les liens d'interdépendance, qui conduisent à
l'omniscience, se prendre d'un grand goût pour toutes choses variées brisera la contemplation.
Réduire au minimum l'étude de ces sciences est mon conseil du cœur.
23. Au temps où l'on reste au-dedans, arrangeant son intérieur, on peut de la sorte se ménager
tous les conforts au sein des solitudes ; mais c'est ainsi que l'on effrite sa vie entière pour des besoins mineurs.
Ajourner tous ces travaux est mon conseil du cœur.
24. Érudit, vertueux, on peut également avoir fait quelques efforts vers l'accomplissement, et ainsi
nos qualités personnelles atteignent à leur apogée. Mais les attachements associés à cela sont
la cause de se ligoter soi-même.
Savoir être libre sans égocentrisme est mon conseil du cœur.
25. Faire tomber la foudre, la grêle, exercer des pouvoirs, tout en s'en protégeant soi-même,
on peut penser que c'est là soumettre ce qui doit être soumis. Mais brûler de la sorte l'être d'autrui,
c'est marcher soi-même vers les destinées inférieures.
Rester humble est mon conseil du cœur.
26. Il se peut que l'on ait abondance de tous les textes désirables, conseils oraux, notes, etc. Mais si
on ne les met pas en pratique, au temps de la mort ils ne seront d'aucune aide.
Étudier son propre esprit est mon conseil du cœur.
27. Au temps où l'on se consacre entièrement à la pratique, on peut avoir des
expériences, en discuter avec autrui, écrire des stances spirituelles et entonner des chants de réalisation.
Bien que ce soit là des manifestations naturelles de la pratique, elles ne font qu'accroître les pensées
errantes.
Se tenir à l'écart du mental est mon conseil du cœur.
28. Quelles que soient les pensées qui surviennent, il est important de les fixer du regard. Lorsqu'on
arrive ainsi à une claire compréhension de l'esprit, il est important d'y demeurer. Bien qu'il n'y ait rien à
méditer, il est important de méditer de la sorte.
Etre toujours attentif est mon conseil du cœur.
29. Au sein de la vacuité, agissant en harmonie avec la loi de cause à effet, ayant saisi ce qu'est
le non-agir, gardant les trois vœux (du Hinayana, Mahayana, Vajrayana), avec une compassion absolue
(“Mis-med Snying-rje” compassion sans représentation, sans référence à un sujet),
puissions-nous nous employer au bien des êtres.
Unir les deux accumulations est mon conseil du cœur.
30. Ayant suivi de nombreux maîtres savants et accomplis, ayant entendu de nombreuses et profondes
instructions, ayant un peu étudié quelques sutras et tantras, ainsi sachant, si on ne met rien de tout cela en
pratique, Hélas ! on ne fait que se tromper soi-même.
C'est ainsi qu'à ma propre intention et à celle de ceux qui me ressemblent, j'ai exprimé ces trente conseils
du cœur.
Par le quelque peu de mérite qui pourrait survenir d'un tel esprit de renonciation, que tous les êtres soient
guidés au sein des étendues sauvages de l'existence et établis en la grande félicité. Marchant
sur les traces des Bouddhas et des Bodhisattvas des trois temps, et de tous les grands saints, puissions-nous devenir leurs fils
suprêmes.
Ainsi, poussé par un brin de renonciation, Tsultrim Lodro (l'un des noms de Longchenpa) conçut-il ces trente conseils
venus du cœur.
D'après une publication de : Ogyan Kunsang Choekhorling, 54 Gandhi Road, Darjeeling, India.